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tant les pas de la souris, qu’on apprend à les distingner. On
connoît tout , quand on a tout craint. Une femme, qui dans
un regard plus sérieux de son amant a cru voir la diminution
de son amour, sait bientôt à quoi tient en lui le sérieux , la
gaieté , l’air tendre ou distrait ; elle sait ce qui est humeur ,
caprice ou mécontentement, ennui ou préoccupation. De
même celle qui dans le monde veut plaire, et craint de dé-
plaire, a bien vite démêlé les motifs de l’accueil qu’elle y
reçoit, les circonstances qui peuvent le rendre plus ou moins
flatteur , les probabilités qui lui permettent d’y compter ou lui
prescrivent de s’en méfier. Elle a regardé tout ce qui l’en-
toure , parce qu’elle n’est tranquille sur rien. Dites-moi de
quoi vous pouvez être inquiète, vous que les succès prévien-
nent , que les hommages poursuivent. Pourquoi faire regarder
à vos pieds , quand vous n’avez à marcher que sur des fleurs.
Mon enfant, de long-temps vous ne connoîtrez le monde ;
Dieu veuille que vous ne le connoissiez jamais, ce sera une
preuve que vous lui plairez toujours , de même que madame
de C**., aigre, sèche , laide et bossue, ne peut jamais se
flatier de le connoître, parce que jamais elle ne peut se
flatier de lui plaire. Madame de Maintenon disoit : Je ne
connois pas les grandeurs , j'en ai été trop loin et trop
près. Elle ne put jamais sentir le poids de la grandeur des
autres : elle y échappa d’abord par son abaissement , ensuite
par son élévation , et nous ne sentons bien que ce qui pèse
sur nous. Nous n’avons bien examiné que ce qui nous blesse.
Les douleurs de la meurtrissure nous avertissent de la forme