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sonnes qui l'ont connue , aimée et estimée ; lorsqu'il semble
qu'on peut encore la voir rougir et baisser les yeux , comment la
juger à la rigueur? D'ailleurs , elle s’accuse avec tant de fran-
chise, elle se repent de si bonne foi, elle aime si sincèrement
la vertu, que je ne puis voir en elle qu’une femme entraînée et
non corrompue.
Je sais bien que lorsque la liaison de mademoiselle de Lespi-
nasse avec M. de G. commença, elle étoit dansun âge où l’on ne
peut guère céder à la séduction. Je trouve étrange tout comme
vous que son amour pour M. de Mora ne l'ait pas défendue, Je
ne conçois assurément pas qu’on aime deux hommes à la fois, et
que, pour un homme qui-ne vous aime guère, on se rende
coupable envers celui qui vous adore, qui revient vous
épouser, et qu’on adore soi-même. Sous ce rapport, la con-
duite de mademoiselle de Lespinasse est sans aucune excnse.
Mais elle en convient, et enfin, tout extraordinaire qu’il est, le
fait existe. Elle les aimoit tous deux. Comment elle arrangeoit
tout cela dans sa tête tant que M. de Mora a vécu ; ce qu'elle
eût fait s’il étoit revenu, ce qu’elle lui écrivoit dans ce temps
où elle écrivoit aussi à M, de G. : Te n’en sais rien. Deux
amours à la fois dans le cœur d’une femme bien évidemment
sensible et konnéte même au milieu de son égarement, cela
me paroit incompréhensible ; et si cetie situation se irouvoit
dans un roman, vous entendriez ioutes les femmes crier à l’in-
vraisemblance. Mais ici c'est un fait réel, et, ne pouvant m’en
expliquer la cause , je me laisse entrainer à gémir sur le sort