© Hessisches Staatsarchiv Marburg, Best. 340 Grimm Nr. Z 43
f!x]insition au Panthéon cl«» copies <le
[fcesques, «l’après Kapltaël et Michel-Ange.
Il y a sur un des points les plus élevés de Paris un monu
ment, magnifique, dominant toute la ville, et luttant de har
diesse, dans son frontispice, avec le portique du Panthéon
d’Agrippa à Rome, et dans sa coupole avec celle de Saint-
Paul à Londres ; un monument qui a coûté plus de soixante
ans de travaux et plus de vingt-cinq millions de dépenses, et
dont l’intérieur est inconnu de l’immense majorité de la po
pulation parisienne, parce qu’il n’a pas, qu’il ne peut par
venir à avoir de destination certaine, étant toujours disputé
entre le christianisme et le paganisme, sans être jamais ad
jugé définitivement ni à l’un ni à l’autre, et surtout parce
que, pour le visiter, il faut se mettre en quête d'un gardien
qui vous ouvre la grille extérieure, puis d’un autre qui vous
într’ouvre mystérieusement la porte du temple, comme pour
ne pas laisser apercevoir à ceux qui passent sur la place et
ne payent pas rétribution, qu'il n’y a rien dedans. Ce monu
ment, semblable à c ü s jeunes gens de bonne mine qui ont
essayé plusieurs métiers sans s’arrêter jamais à aucun, a été
tour à tour église de sainte Geneviève, puis consacré à la
sépulture des grands hommes, puis rendu à sainte Gene
viève, puis rendu de nouveau aux grands hommes, avec gran
des évolutions de lanternes, de frontons, de bas-reliels, et
chassé-croisé de grands hommes entrant, sortant, portés en
triomphe ou arrachés pour être jetés à l’égout. Il n’est pas
étonnant, au milieu de cette instabilité, que l’affection des
Parisiens n’ait pas trouvé là à prendre racine.
A défaut de grands hommes, qui semblent ne pas ma
nifester plus d'empressement à y entrer qu’on n’en ma
nifeste à les y recevoir, le Panthéon vient d’être tiré de sa
léthargie habituelle par une exposition qui attire vivement
la curiosité publique. Cette exposition contient un ensemble
très-remarquable de copies exécutées à Rome, d’après les
fresques de Raphaël et de Michel-Ange. Le nombre total de
ces diverses copies s’élève à soixante-quatre, parmi lesquelles
toute la collection des loges de Raphaël, composée de cin
quante-deux sujets consacrés à l’histoire de l’Ancien Testa
ment, et huit grands tableaux des stanze ou chambres du Va
tican, qui sont au nombre des plus importantes compositions
du grand artiste : l'Incendie du Bourg ; la Dispute du Saint-
Sacrement; le Purnusse; l'Ecole d'Athènes; Héliodore chassé
du temple; le pape saint Léon I er allant au devant d’Attila;
le miracle de Bolsena et saint Pierre délivré de prison Cette
vaste série de travaux, à l’exception de huit des tableaux des
loges, a été exécutée par les deux frères Balze. A côté de ce
nombre si considérable de copies de Raphaël, on a eu le bon
îsprit de réunir douze copies desSibylles et des Piophètesde
Michel-.4nge, et d’opposer ainsi les œuvres du chef de l’école
romaine à celles du chef de l’école florentine. Ces dernières
copies ont été exécutées'en partie par feu Sigalon, à qui nous
devons la belle copie du Jugement dernier, qui est au palais
les Beaux-Arts, et pour l’autre partie par M. Boucoiran.
Voilà certes une importante conquête, et l’on doit des éloges
à l’administration qui a pensé à en doter la France. Con
quête pacifique qui ne laisse après elle aucuns regrets ,
tandis que celle qui s’exerce à la suite d’une armée victo
rieuse jette entre des peuples destinés à redevenir amis plus
tard des rancunes éternisées par le souvenir de l'humiliation
aux jours malheureux. Les progrès de la civilisation et l’a
doucissement général des mœurs effaceront sans doute un
jour ces droits barbares inscrits dans le code international
du passé. S’il doit y avoir une propriété sacrée, inatta
quable, c’est celle des musées ou des collections d’art ou
scientifiques, qui sont la gloire d’un pays, surtout pour la
partie de ces musées composéed’œuvres d’artistes nationaux:
les dépouiller brutalement de ces richesses est une chose
impie. Achetez, si les peuples deviennent assez vils pour
vendre eux-mêmes leurs titres de gloire, mais ne les pillez
pas comme des forbans ! Du reste, et l’histoire est là mal-
icureusement pour le redire, ce que le Nord prend un jour
lu Midi, quelques années après, le Midi à son tour, dans
les temps plus prospères, le reprendra peut-être au Nord,
et, dans ce ballottage exercé à travers les siècles au gré de
'instabilité des choses humaines, les chefs-d’œuvre seront
inévitablement exposés à périr ou du moins à se détériorer,
et. ce sont là de ces désastres qui ne se réparent pas. Mais
;es chefs-d’œuvre ne sont pas seulement la gloire et le pa
trimoine d’un peuple, ils sont la gloire, ils doivent être le
patrimoine de l’humanité. Toutes les nations qui ont le culte
des beaux-arts devraient s’assurer la participation de ces ri
chesses au moyen de reproductions nombreuses confiées à
eurs artistes les plus consciencieux. Si quelque chose prouve
l’insouciance des gouvernements en général pour les choses
le l’art, c’est de voir qu’ils n’entreprennent rien dans celte
voie. Chez nous, quelques efforts ont été tentés, mais les ré
sultats sont disséminés, et pour que des vues d’ensemble
présidassent à ces travaux isolés, il faudrait commencer par
décréter la création d’un musée des copies Je me propose,
pour ma part, d’appeler un jour sur ce sujet l’attention des
lecteurs de l’Illustration.
C’est en 1835 que M. Thiers, ministre de l’intérieur, or
donna l’exécution de copies des loges de Raphaël. Ces tra
vaux furent confiés, sous la direction de M. Ingres, alors di
recteur de l’académie des Beaux-Arts à Rome, à quatre ar
tistes, MM. Comairas, Paul Flandrin, et les deux frères Peul
et Raymond Balze; M. Jourdy leur fut aussi adjoint pendant
quelque temps. Par suite d’une difficulté avec le gouverne
ment romain, ces travaux furent presque aussitôt interrom
pus que commencés. Lorsqu’ils furent repris, MM. Balze
continuèrent seuls et achevèrent, la collection. En 1840, ils
furent de nouveau chargés, par le ministre, de la copie de
huit grands tableaux à fresque des stanze. Ils hésitèrent un
instant avant de se décider à entreprendre une tâche si lon
gue et si difficile. Les difficultés étaient déplus d’une sorte:
outre celle de se maintenir à la hauteur du modèle, il y
^vâî^ncôrë^àn^es^ondîtîon^natédeîîesd^xécution^es
obstacles qui semblaient insurmontables. Les salles du Va
tican, connues sous le nom de stanze, sont petites et peu
éclairées, et, ce qui est pis encore, elles sont mal éclairées
par une lumière venant d’en bas et placée même, pour quel
ques-unes des compositions, au-dessous du tableau. D’un
autre côté, comme les fresques de Raphaël couvrent le mur
d’un bout à l’autre, il y avait impossibilité d’étendre devant
la toile destinée à recevoir la copie, parce que cette toile eût
entièrement masqué l’original. Il fallut donc aviser à quel
que expédient : la toile fut fixée à ses deux extrémités et
roulée sur deux cylindres en bois, distants de six pieds en
viron l’un de l’autre. Au fur et à mesure de l’avancement
du travail, elle était déroulée d’un cylindre et roulée sur
l’autre. Mais la peinture ainsi enroulée avant d’être parfaite
ment sèche était exposée à être dégradée par suite d’adhé
rences. On construisit un nouvel échafaudage de manière à
ce que la toile fût repliée plusieurs fois sur elle-même, mais
en laissant l’air circuler entre ses divers feuillets. Le feuil
let destiné à recevoir, dans le moment, la peinture était
seul tendu. Quand il était terminé, on fe retournait par der
rière, et ainsi de suite. On comprend facilement la difficulté
apportée par l’insuffisance du jour et par la nécessité de tra
vailler par portions isolées sans pouvoir apprécier l’ensem
ble. 11 faut avoir l’ardeur et la confiance de la toute jeunesse
pour se jeter dans une pareille entreprise. Un temps consi
dérable, augmenté encore par les interruptions auxquelles
on est constamment exposé au palais du Vatican, fut consa
cré par les frères Balze à l’exécution de leurs travaux. Le
ministre avait fixé un délai de quatre ans ; ils n’ont pu ter
miner qu’en 1847. Ces copies ont été exposées à Rome au
mois de mai dernier.
L’inutile Panthéon s’est transformé pour quelques jours en
musée pour les recevoir. Musée immense et splendide !
Mais quelle que soit sa magnificence, on fera bien de se rap
peler qu’il manque à toutes ces peintures leur entourage
d’ornementation, leur encadrement d’arabesques, et qu elles
sont dépaysées au milieu de toutes ces colonnes et de ces
hautes parois d’aspect neuf ei. de couleur blafarde. C’est sur
tout vis-à-vis des cinquante-deux sujets des loges qu’il est
bon de se prémunir contre une impression première défa
vorable, d’autant plus qu une grande renommée s’attache à
ce nom de loges de Raphaël, et que par cela même on pour
rait peut-être éprouver un plus grand désappointement. En
voyant pour la première lois ces tableaux de petite dimen
sion, on pourrait s’étonner de ne pas y trouver le fini qu’on
aime à rencontrer dans les toiles de chevalet. Mais la rudesse
de leur exécution (et les frères Balze se sont appliqués à en
conserver le caractère original) cessera de choquer, si on ne
veut voir dans ces peintures que ce qu’elles sont réellement,
des décorations à fresque placées à une certaine hauteur dans
la voûte d’une galerie du Vatican ouverte à l’air. Ces pein
tures furent exécutées par les élèves de Raphaël sur ses des
sins; il ne peignit lui-même que quelques sujets, entre au
tres le premier de la série, où il a représenté le père Eter
nel, les bras et les jambes étendus, débrouillant le chaos dans
un sublime effort. Il y a tant de grandeur dans cette compo
sition que Michel Ange, en la voyant, s’écria, dit-on, que Ra
phaël avait dû s’introduire furtivement dans la chapelle
Sixtine qu’il peignait alors et tenait fermée à tout le monde.
C’est Jules Romain qui a peint dans le tableau suivant l’E-
ternel plaçant dans le ciel, de ses deux mains, le soleil et la
lune, avec une égalité de mouvement fort honorable pour la
lune dont le volume n’est que la quarante-neuvième par
tie de celui de la terre, tandis que celui du soleil est
1,526,480 fois plus considérable, comme tout le monde le
sait aujourd’hui. Du reste, le mérite de ces divers tableaux
est fort inégal, et il en est plusieurs dans lesquels, si l’on
veut être franc, on ne soupçonnerait pas le moins du monde,
sans la tradition, la présence de Raphaël. Il a fallu aux frères
Balze un dévouement persistant pour mener à terme une tâche
souvent ingrate.
La partie intéressante de l’exposition est celle des huit
grandes compositions des stanze. Ici Raphaël, prenant son
essor, arrive à la virilité de son talent. Le tableau impropre
ment appelé la Dispute sur le Saint-Sacrement sert à marquer
ce passage. Raphaël y est encore en partie engagé dans la
manière de Rerugin son maître. La partie supérieure qui re
présente l’empyrée rappelle, par sa disposition symétrique,
l’ancienne peinture traditionnelle. Mais au-dessous le concile
de saints docteurs mêlés de divers personnages, parmi les
quels on remarque une tête belle et pleine d’amertume du
Dante, a une majesté calme et un parfum religieux auquel le
symbolisme chrétien delà partie supérieure n’ajoute rien. U
y a dans cette œuvre un charme mystique et une jeune can
deur de talent qui attirent doucement l’âme, même en pré
sence de compositions plus graves et plus fortement pensées.
— A côté de la Dispute sur le Saint-Sacrement est un autre
tableau aussi improprement nommé l’Ecole d'Athènes, puis
qu’on y voit figurer plusieurs sages et savants étrangers, tels
que Zoroastre et Pythagore, Archimède sous les traits de
Bramante, sans compter les modernes : Averrhoës, Bembo,
secrétaire de Léon N, qui occupe une place importante à la
gauche d’Aristote; de la Rovère, duc d’Urbin, neveu de Ju
les 11, sous R,s traits d’un jeune homme élégant vêtu d’une
draperie blanche et tenant sa main sur la poitrine; enfin les
têtes de Raphaël et de Perugin dans le coin à droite. Dans
cette composition d’une si belle ordonnance le génie de l’ar
tiste s’émancipe complètement, des traditions du moyen âge,
et il se rapproche du goût antique par une affinité exquise per
sonnelle plus encore que par les inspirations archéologiques
des monuments de la Rome des Césars, dont un petit nombre I
seulement était, alors découvert. Le centre de la composition
est occupé par Platon , la main élevée vers le ciel et discutantavec I
Aristote. Quelques figures, entre autres celle d’Ëpictète dans
l’attitude de la réflexion etécrivant, appartiennent au plus haut
style. La belle architecture du portique où Raphaël a placé ce
çongrè^ephilosophesjorouv^uhlétai^igned^êtr^joggj^
terminer les- travaux commencés par Bramante, son oncle
au Vatican,—Une chose merveilleuse chez Raphaël, c’est la
complète appropriation de son talent aux convenances du
sujet. Mystique dans le tableau du Saint-Sacrement, grave
et noble dans celui des Philosophes, il est gracieux dans celui
du Parnasse. Ici il a à vaincre les difficultés d une fenêtre
qui coupe par le bas sa composition en deux; il tire lieureu
sement parti de cette disposition en faisant pyramider sor
sujet. —Il triomphe avec autant de bonheur des même!
obstacles dans le Miracle de Bolsena, où il s’élève à un colo
ris plus riche, et surtout dans le tableau de saint Pierre dé
livré de prison, où il se montre précurseur de Schalken pai
la curiosité avec laquelle il cherche à rendre les différents ef
fets de la lumière et de l’ombre. Mais dans ce dernier il re
tombe encore dans les données d’un art dans l'enfance; j
inscrit dans un cadre unique une action multiple relative l
un même personnage. — Les scènes calmes, les altitudes
non tourmentées sont celles qui conviennent de préférence
au talent de Raphaël. A l’exemple des artistes de 1 antiquité™
il comprend que le calme s’allie bien à la beauté et à la giâce,
dont il est toujours amoureux. Cependant, s’il lui faut intro
duire du mouvement dans son œuvre, avec quelle supériorité
ne le fait-il pas? Quoi de plus beau que les anges sans ailes
et le cavalier qui chassent Héliodore du temple? Pourquo
l’unité de cette admirable composition est-elle malheureuse
ment rompue par le hors-d’œuvre de Jules II porté sur sa
chaise, introduit sur la scène avec un entourage de person
nages du temps, parmi lesquels on reconnaît le sculpteu
Marc-Antoine? — Dans le tableau d'Attila, à mon avis, un
des moins intéressants de la collection, le pape saint Léon
est représenté sous les traits de Léon X. — Une dernière
composition, où brillent des beautés de détail du premier or
dre, mais moins satisfaisante sous le rapport de l’ensemble et
de la couleur, termine la série : c’est le tableau célèbre connu
sous le nom de Y Incendie du bourg. Il manque seulement pour
la compléter quatre autres tableaux : la Justification de saint
Léon III; la Victoire de saint Léon IV sur les Sarrasins; le
Couronnement de Charlemagne ; enfin le beau tableau de la
Jurisprudence. Il faut espérer, du moins pour ce dernier ta
bleau, que le gouvernement en ordonnera la copie pour ne
pas laisser de lacune dans la collection des copies des cham
bres de Raphaël, dont la France vient d’être mise en pos
session. Gela est d’autant plus désirable, et on doit d’autant
plus se féliciter de ce qu’on a obtenu, que ces admirables
fresques, exécutées il y a plus de trois siècles, dépérissent de
jour en jour. Elles ont eu à souffrir de l’humidité, du séjour
des soldats du connétable de Bourbon et des calques levés à
diverses époques; entre autres en 1740 par les élèves de l’A
cadémie de France, pour servir aux tapisseries des Gobelins.
Nous avons parlé des difficultés que les frères Balze eurent
à surmonter, louons aussi le soin consciencieux apporté pari
eux dans une entreprise de si longue haleine. On sent quel
dans cette reproduction des œuvres du grand artiste, ils on
fait abstraction de leur personnalité pour s’absorber dan
l’étude religieuse de leur modèle. Et cela est si vrai que, ou
tre la fraternité du sang, on retrouve encore entre eux cell
du talent, et qu’on hésite souvent pour savoir auquel des deu
attribuer telle ou telle copie. Quoi qu’on aperçoive un pro
grès entre quelques-uns de ces premiers tableaux et ceu:
qui ont suivi, il y a entre eux tous un ensemble satisfaisant.
Si quelques détails d’exécution laissent quelquefois à désirer,
qu’on se demande, avant de les attribuer aux jeunes artistes,
s’ils n’ont pas leur cause dans l’état même des fresques ; qu’on
ait d’ailleurs présent à l’esprit qu’ils ont dû rendre avec des
couleurs à l’huile les tons légers de la fresque, et qu’on leur
tienne compte de la différence du procédé qu’ils font souvent
oublier.
Ouire les copies des loges et des chambres de Raphaël, le
Panthéon offre encore à la curiosité publique douze copies
des Sibylles et des Prophètes d’après Michel-Ange. Les copies
des Sibylles, désignées par les noms latins de Libyca, Cumœa,
Delphica, Erythrœa, Persica, et des Prophètes Zacharie,
Joël et Isaïe, ont été exécutées en 1858 par M. Boucoiran ;
celles d’Ezéchiel (1851), de Daniel, de Jérémie et de Jouas
(1857), sont dues au pinceau de feu Sigalon. Ici l’on est
transporté dans un idéal gigantesque et terrible inconnu à
l’antiquité. C’est de la peinture de Titan jetée comme un
défi au monde, et semblable à ces cestes d’Entelle qu'aucun!
athlète n’osait relever.